Bonjour.

Si jamais vous êtes choqué de l'absence de mises à jour ici, vous avez raison. En fait je suis en pleine réflexion quant à la direction à prendre avec Jukin.
En effet les épisodes sont de plus en plus longs, donc plus trop adaptés à l'internet puisque personne ne se lance dans la lecture d'un paragraphe de plus de 6 lignes (choix arbitraire mais surement juste).

En plus les publications s'espacent d'autant. Je songe donc à modifier la formule tout en voulant développer l'univers. Donc je pensais à faire des épisodes qui se suivent dans une histoire avec une intrigue plus général, mais le problème c'est qu'il faut suivre pour comprendre ce qui se passe. Et comme je suis lent ça risque d'être compliqué.

J'imagine aussi passer à une édition papier car les 33 premiers opus représentent 160 pages en livre de poche (j'ai calculé avec mes petites mains).

Bref, voilà où j'en suis pour le moment. Je trouverai bien un passage à un moment, peut être un passage secret d'ailleurs. Vous en serez les premiers avertis.

D'ailleurs n'hésitez pas à donner un avis, un encouragement ou des insultes gratuites dans la partie commentaire de ce billet.


Kiss kiss bye bye.

L'auteur (ça fait classe ça mais ça veut rien dire).

33

Ce matin, Jukin se réveille demain.
titre proposé par Leila


Il se gratta les fesses, énervé. La nuit avait été mauvaise, donc il s’était levé très tard mais il n’avait pas le temps. Comme chaque année à cette date, les habitants préparaient leur Bidule de la journée du Truc. Ils avaient 24 heures afin d’être au point. Le lendemain ils défilaient à tour de rôle sur la scène du théâtre, à l’horaire assigné.

Anxieux, Jukin se figea devant sa table. Le petit dej’ était déjà déballé et semblait-il consommé. Pourtant il l’avait débarrassé la veille au matin. Dans l’urgence il finit ce qui restait, les cauchemars flottant encore dans son esprit.
Il était enfant, perdu seul en forêt, submergé par des ombres tortueuses. De rares flashs lumineux d’un soleil blanc l’éblouissaient à travers la canopée. Dans ces décharges de photons la nausée lui montait. Il était projeté furtivement dans son futur où il se voyait flétri, coincé dans un cul de sac de briques rouges. Enfant esseulé, ces visions intermittentes le tétanisaient. Alors quand une énorme masse gluante d’encre jaillit d’un tronc d’arbre, il ne put s’enfuir. Son lui futur se mit à paniquer aussi. La masse sombre approcha indéfiniment, pendant toute la nuit. Son angoisse ne cessa de monter, sans jamais atteindre de paroxysme. Ses lui passés et futurs alternaient sans cesse dans la tête de son lui présent, créant une confusion de terreur. Au moment du réveil, une décharge phénoménale le traversa.

Encore embrouillé de ces sensations, il ouvrit son atelier au fond du jardin. Tout le matériel était déballé et des chutes de matériaux découpés. Les copeaux jonchaient le sol. Alors en entendant le bougonnement de son voisin Sirunyk, il alla l’interpeller:
_ Excuse moi, aurais-tu utilisé mes outils par hasard ?
Surpris dans ses noires pensées, il tourna vivement la tête avant de gargouiller :
_Hein, comment, quels outils ?
_Les outils de mon atelier ont été utilisés, lui précisa Jukin.
_ Tu insinues que je suis rentré chez toi, dans ton atelier, pour manipuler tes outils ? s’indigna-t-il.
_Je me renseigne Sirunyk, tout est déballé et je n’y ai pas touché.
_ C’est insultant. Et puis je n’ai pas le temps. Je passe sur scène dans une heure, lança-t-il en se détournant.
_ Comment, qu’est ce que tu viens de dire ? se précipita Jukin.
_ J’ai tout juste fini mon bidule, mais je passe tout à l’heure.
_ C’est demain Sirunyk, affirma-t-il mollement.
_ Ah ! Demain ! Ca m’aurait bien arrangé ! Pour peaufiner. Mais t’entends pas le son du Truc, dit-il en rentrant chez lui.

Jukin n’avait pas prêté attention au son fluctuant mais permanent qui emplissait la ville. L’année précédente, Pétro le boucher avait gagné l’exemption et la responsabilité du son du Truc pour la journée entière. Privilège accordé au meilleur bidule. Malgré la situation catastrophique, Jukin reconnut qu’il se débrouillait très bien, c’était un grand cru.
Sans privilège et la journée de préparation envolée, la menace devint très concrète. Autant les meilleurs étaient récompensés, autant les mauvais recevaient des gages pénibles. Et les malheureux qui ne réalisaient pas leur bidule à temps étaient déshabillés, leur logement brûlé puis bannis à vie, ainsi que leur descendance.

Aucune trace de son bidule dans l’atelier. De retour au séjour, le petit dej’ était débarrassé. Il ne restait qu’une tasse qui décolla et plana. Jukin la suivit dans la cuisine. Elle alla rejoindre toute seule le reste de vaisselle dans l’évier. Ensuite l’éponge se souleva. Rejoint par le torchon ils volèrent jusqu’à la table. Le torchon flottait à hauteur d’épaule et vibrait aux saccades de l’éponge sur la table. Une fois la table humide, le torchon prit le relais. C’était son exact rituel de nettoyage, Jukin était stupéfait.
Complètement à court de temps il partit tout de même chez Patiel à qui il avait prévu de confier l’ébauche de son bidule. Il était le seul capable de machiner un chose particulier dessus.

Patiel était charpentier et tenait en parallèle une petite boutique de bricolage spécialisé. L’échoppe était minuscule, voire confidentielle. Un fatras de matériaux totalement hétéroclite recouvrait les étagères, les meubles et le sol. Des ressorts géants, des spirales en plastique orange, des rouleaux de mousse végétale. Tout était en tas et pourtant Patiel pouvait retrouver la moindre vis guimauve en moins de 30 secondes. C’était d’ailleurs l’unique boutique où l’on pouvait trouver un écheveleur de crâne.
Bien qu’ayant eut affaire à lui à quelques occasions, Jukin était toujours fasciné par sa constitution. Il était aussi immense que fin, un véritable bonhomme fil de fer. En plus ses bras étaient rattachés à son tronc à peine au dessus du nombril ce qui le rendait incroyablement maladroit. Comme son système nerveux ne devait pas être adapté à sa morphologie, dès qu’il remuait ses bras fins tous les objets tombaient autour de lui. Sans parler de son allure ridicule.
Quand Jukin lui dit bonjour, il se retourna, le contenu de l’étagère à gauche du comptoir valdingua. Il n’y prêtait plus attention mais son esprit reclassait instantanément la nouvelle position des objets dans sa mémoire.
Il semblait circonspect de voir Jukin :
_ Salutations de bienvenu, que me vaut déjà l’honneur de te revoir, dit-il de sa voix forte et égale.
_ Oh, je ne suis pas venu depuis longtemps. Cela dit, rien n’a changé.
_ C’est parce que je n’ai pu t’aider que tu oublies ta visite d’hier ? Tu sais je n’aurais jamais pu terminer dans les délais, dit il en accompagnant la parole d’un geste inutile qui renversa une commode et son contenu.
Jukin craignait une telle réponse.
_ Je suis venu hier ?
_J’espère que tu as pu terminer ton bidule quand même.

Les rouages venaient de s’emboîter. Sa veille se déroulait en parallèle aujourd’hui. Bien sûr pour les autres elle avait eu lieu normalement. Il y avait déjà fait toutes ses actions. Mais pour lui, le Jukin d’hier n’agissait qu’aujourd’hui. Il n’avait plus qu’à espérer qu’il finirait son bidule hier avant son passage au théâtre aujourd’hui.
_ Justement, qu’est ce que j’ai fait de mon bidule hier ?
_ C’est un peu fort ça. Tu es amnésique ?
_ Non, lâcha-t-il plus sèchement qu’il ne le voulait. J’ai passé une très mauvaise nuit.
Patiel sentait son interlocuteur troublé, il préféra l’informer.
_Tu es simplement reparti avec en espérant te débrouiller seul.
Aujourd’hui encore il espérait. En sortant, Jukin sursauta au fracas de multiples objets heurtant le sol.

De retour chez lui, il découvrit une ébauche de son bidule qui planait à hauteur de hanche à côté d’un tréteau de bricolage. Ils filèrent vers le grenier, il monta aussi.
Son lui d’hier y avait déjà rassemblé tout un bric-à-brac. Restant à peine une heure avant son passage, Jukin se saisit de son bidule incomplet. Il rassembla plein de petits machins, la colle à truc et les agrafes à chose et se mit frénétiquement au travail. Il n’attendit même pas que ça sèche et partit pour le théâtre.

A temps pour valider sa participation et ainsi éviter le bannissement, c’était déjà un soulagement. Mais tandis qu’il attendait dans l’antichambre, il prit le temps de tester rapidement son bidule. Toute la partie du truc mobile s’était retrouvée collée et le support agrafé lui resta dans les mains ! C’est à ce moment précis qu’on l’appela sur scène.
Les spots l’éblouirent d’abord, mais quand il put découvrir le public, il les fixa volontairement à se rendre aveugle pour ignorer cette foule qui le terrorisait. La scène était immense, il se sentait ridicule au pied de ces majestueux rideaux de soie carmin. Déjà très mal à l’aise, il feignit la timidité extrême pour gagner du temps. La moitié de son bidule pendait lamentablement. Il n’atteignit le micro qu’après deux longues minutes. Approchant ses lèvres frémissantes, sa bouche fut repoussée par un violent larsen quand il tenta de l’ouvrir.
Alors il partit en arrière comme déséquilibré et s’affala dix mètres plus loin. On le releva. Il profita de l’hilarité générale pour gagner encore des minutes, l’enthousiasme repoussait la lassitude. Il feignit de boiter maladroitement jusqu’à l’avant scène. Quelques secondes de sauvées. Des rires fusèrent encore. Tous les spots braqués sur lui, la sueur commençait à le démanger. Dans la coulisse, les organisateurs s’agitaient. Jukin risqua un regard vers le jury, il regretta aussitôt. Les cinq individus à la mine austère le fixaient comme une proie. Ses épaules se tendirent, quelqu’un siffla dans le public. L’attente devenait insupportable. Il souleva son bidule qui ne ressemblait à rien mais ne put commencer. Il s’humiliait lui même. Les organisateurs le menacèrent alors. Jukin se retrouvait à nouveau sous le coup du bannissement ! Au même instant le public lança des huées de plus en plus vindicatives. Les larmes lui montèrent aux yeux. A son bureau, le jury prenait des notes sévères. Il ne pouvait plus repousser le présent. Quand une larme roula du coin de son œil gauche il souleva à nouveau son bidule. Ce geste simple calma déjà les ardeurs. Il posa sa main sur la partie mobile mais ne reconnut pas son toucher. Il baissa la tête et découvrit son bidule comme il l’avait imaginé (son Jukin d’hier avait réussi).
Qu’il s’agisse d’un rêve ou non, il s’exhala à le contempler. Tout s’arrêtait autour de lui, son ouïe devenait cotonneuse. Il l’empoigna et se mit à machiner comme jamais, porté par une rage fiévreuse. Sa technique moyenne s’effaçait derrière son lyrisme mélodramatique. Il occupait tout l’espace scénique en virevoltant de gestes hargneux. Jukin termina en trombe, lessivé. Le public l’applaudit bizarrement, encore sous le choc du changement. Le jury persistait dans son austérité hermétique bien qu’une crispation se percevait, signe qu’ils avaient été touchés.
Jukin rata de peu les privilèges.

Enfin chez lui, l’énergie lui manqua. Il s’affalait dans son fauteuil en os quand son lui d’hier apparut, déjà assis. La chute étant lancée, Jukin lui tomba dessus. Mais en fait, ils fusionnèrent. La dimension temporelle put retrouver son équilibre. Jukin sentit un bref instant son lui passé se relâcher au point de se liquéfier, enfin libre. Il était complet à nouveau.

32

Ce matin, Jukin a compris l’univers.
titre proposé par Tim

Dans la rue montant jusque chez lui, il sautillait. Son cours de klégniole lui faisait toujours le plus grand bien. Quand il approcha de son mur, une épaisse fumée noire s’envolait du jardin. Il se pressa calmement dans sa cours et trébucha. Le mur mitoyen était défoncé en son centre. Une énorme sphère rocailleuse le remplaçait. Noire comme du charbon, elle rougeoyait encore en certains endroits, rejetant de la sciure dans l’atmosphère.
Entre les briques brisées, Jukin approcha prudemment, il trébucha tout de même. Derrière la masse chaude, son voisin Sirunyk bougonnait comme à son habitude. Seulement, en l’apercevant, une lueur apparu dans son regard morne.
_ C’est mon météore de toute façon. Il est dans mon jardin et je l’ai vu en premier lui balbutia-t-il d’une voix sourde et enrouée.
Jukin ne releva pas, trop fasciné par le spectacle. Autour de la sphère, l’impact était matérialisé par des stries en saillies concentriques qui avaient fait onduler la terre. Bien qu’immobile, la scène semblait vivante. La chaleur dégagée faisait bouillonner l’air sur un bon périmètre et le rougeoiement régulier donnait l’impression d’une respiration. Il crut même voir la surface du météore se dilater. Et la répartition des briques fracassées donnait encore à voir le mouvement de l’explosion. La fumée noire s’élevant maintenant en un mince filet achevait le tableau.

_ Je suis désolé voisin, mais le droit de propriété s’applique uniquement à la possession des espaces privées. Autrement dit, comme le météore penche plus de mon côté, il m’appartient lança-t-il tout à coup d’une manière de défi.
Il n’était pas certain que le rocher stellaire dépassait plus chez lui, c’était autant une vague impression qu’une envie de taquiner.
Les termes juridiques avaient visiblement touchés Sirunyk. Il ne répondit pas, mais se mit consciencieusement à juger la taille de l’espace entre le bout du météore et son mur, tout en émettant un gargouillement de mécontentement. Tandis que Jukin l’observait mi amusé mi consterné, de petits seins poilus noir charbon se détachèrent de la surface de la pierre sidérale et glissèrent sous sa porte d’entrée.
Sirunyk pencha la tête dans son jardin. Il enjamba finalement le reste de muret et observa le météore du côté de Jukin, toujours en grommelant. Sans qu’ils ne puissent les apercevoir, des centaines de seins sombres et velus se décollèrent du météore du côté de Sirunyk et pénétrèrent à toute vitesse sa maison par la porte restée entrouverte.
C’est alors que sa sonnette retentit :
_ C’est Pétro qui m’amène ma viande, lança Sirunyk repassant de l’autre côté pour se diriger vers sa grille.
Il s’agissait du boucher du quartier, autant apprécié pour la qualité de ses abats que de ses calembours. Jukin les trouvait particulièrement lourds, mais appréciait la bonne humeur du bonhomme. Petro apparut un grand sourire aux lèvres qui fondit aussitôt face au météore pour laisser la place à une bouche béante et molle. Il faillit en lâcher son paquet sanguinolent :
_ Cte bouse qui vous ont fait les petits hommes verts !
Son tablier était encore tâché. Il avait l’habitude de le porter été comme hiver, sans rien en dessous. Il n’était pas tellement gros mais si gras que personne ne se souciait qu’il ait froid en hiver. Un cercle de cheveux noirs frisés faisant une couronne autour de sa tête ronde lui donnait un air romain, période décadence.
Feignant la fierté, Sirunyk tenta le coup :
_ C’est MON météore.
_ Et bien mon vieux, ça fait de toi l’éboueur des étoiles !
Sirunyk se marra carrément. Jukin n’avait jamais vu ça. Comme ci sa morosité s’envolait un instant.
_ Mon cher voisin s’avance un peu, précisa-t-il, le météore penche plus de mon côté, il est donc à moi.
_ Il a raison Siru. C’est celui qu’en a le plus gros bout qui garde tout pour lui. C’est comme le gras de jambon.
Sirunyk se rapprocha de Pétro :
_ Tu crois vraiment que ça penche pour lui ? Que c’est tout pour lui ?
_ Ben mon vieux, nous c’est pareil les jours d’approvisionnement à l’abattoir. Le premier boucher qui fout sa paluche sur un quartier de viande, c’est pour sa poire.
Sirunyk alla se brûler la main sur la roche.
_ Mais non ! Elles viennent pas du ciel nos carcasses. Là c’est la…la…
_ La propriété, compléta Jukin avant de trébucher légèrement.
_ Oui. La propriété qui compte.
Sirunyk se rembrunit aussitôt. Il se déplaça lentement vers le mur et fixa la partie du météore côté Jukin. Pétro le dépassa et enjamba le reste de mur.
_ Je me permets, adressa-t-il à Jukin qui acquiesça du menton.
_ Oh ouai, ya p’tet un p’tit queque chose y’m semble. Ca se joue à un poil de mouton votre histoire.
Sirunyk passa une seule jambe chez Jukin et s’adossa au muret. Bien dans l’axe, il espérait découvrir une preuve qu’il méritait plus ce météore.
_ Et bien mon Jukin, laisse moi te rappeler que j’ai toujours apprécié ta discrétion et ta passion pour les viandes. N’oublie pas les beaux morceaux que j’avais trouvés pour ta collection quand tu toucheras des millions avec ton météore, fit Pétro avec un clin d’œil discret avant de ponctuer sa phrase d’une tape exagérée derrière l’épaule.
Sirunyk lui lança un regard noir. Jukin se contenta de rire légèrement avant de s’avancer et d’ajouter presque pour lui :
_ Ce monstrueux rocher est fascinant.
Les autres l’écoutèrent en silence.
_ Imaginez qu’il dérivait déjà avant que la terre n’existe. A travers le froid du vide sidéral. Et pendant ce temps majestueux, il restait toujours seul. Jusqu’à aujourd’hui.

Les sonnettes des maisons raisonnèrent simultanément, les faisant sursauté tous les 3. Sirunyk et Jukin se regardèrent, inquiets. Pétro les regarda se diriger lentement vers leur grille suite au 2ème coup de sonnette péremptoire.
Profitant de la diversion, des dizaines de petits nichons sales de poils bondirent encore du météore. Ils s’étaient maintenant tous réfugiés dans les maisons. Quand les grilles s’ouvrirent à l’unisson, deux équipes de 4 types en costume s’avancèrent. Ils portaient tous des masques de protection respiratoire. Leur cravate avait la forme d’une fusée et les montures de leurs lunettes noires étaient rehaussées de reproductions dorées de satellites, ce qui leur donnait une allure grotesque malgré le sérieux et l’austérité du reste de l’uniforme. Un gars de chaque équipe, en retrait, portait une petite mallette argentée.
Pétro observait la scène depuis le météore, il avait l’impression de voir double. Heureusement que Sirunyk et Jukin ne se ressemblaient pas.
_ Nous sommes du département de recherche extraterrestre de l’Agence Spatiale Européenne, lancèrent en parfaite synchronisation les deux plus grands hommes costumés de part et d’autre du mur. Nous avons détecté l’impact d’un petit météore dans votre jardin. Le gouvernement va vous le racheter.
_ C’est le jackpot les gars ! hurla Pétro derrière eux.
Ils ne le suivirent pas dans son enthousiasme. Les deux équipes entrèrent et se déployèrent autour du rocher. En emboîtant le pas, Jukin eut l’impression que le météore était plus petit et plus clair, il trébucha. Le boucher s’écarta prudemment, gardant son grand sourire. Deux des types déposèrent leur mallette et se saisirent d’un boîtier. Ils l’agitèrent dans l’air environnant, scrutant des cadrans de niveaux. Quand un voyant vert s’éclaira sur le dessus, un léger soulagement se fit sentir parmi eux, ils ôtèrent leurs masques.
Les deux chefs reprirent simultanément :
_ Le météore n’émet ni radioactivité, ni gaz dangereux. Vous toucherez la prime compensatoire maximale.
A ce mot, Sirunyk se retourna vers Pétro et Jukin :
_ Vous voyez, c’est autant MON météore.
_ Cependant Monsieur, nous dédommageons au prorata de la propriété.
Sirunyk se détourna, les sourcils froncés. Les mêmes informations produisaient des effets inverses des deux côtés du mur.
_ Nos relevés satellites révèlent une répartition de 61/39, fut annoncé côté Jukin et 39/61 du côté Sirunyk.
Ce dernier lâcha spontanément un « non ! » et le long des façades, un paquet de seins glissa depuis la porte de Sirunyk à celle de Jukin.
_ Il n’y a pas 39/61 ! s’emporta-t-il d’une voix rauque. Même 45/55 serait exagéré, il n’y a pas 39/61.
_ Monsieur. La mesure satellite est extrêmement fiable. Et notre agent spécial à la responsabilité de valider cette mesure, lui fut-il répondu laconiquement.
_ Il n’y a pas 39/61. Où est votre agent spécial ? Je vais lui parler. Il n’y a pas 39/61. Vous perdez tous la raison.
Il s’arrêta car tout le monde faisait silence et regardait en l’air. Un « hum » de gorge racla au dessus de sa tête. Il découvrit, posté sur le reste de mur, un autre homme costumé pas du tout grotesque. Celui-ci avait glissé le bout de sa cravate entre deux boutons de sa chemise et ne portait pas les lunettes noires. Pourtant, son regard était encore plus confidentiel. Sa voix emplit alors tout l’espace :
_ Monsieur. Je suis la voix de l’état. Je suis mandaté pour valider les relevés satellites par mon expertise. Mes compétences uniques sont infaillibles. Je déclare une correction satellite en décalage ouest d’une valeur de 1%. Le répartition définitive est donc de 62/38 en faveur de M. Jukin.
Sirunyk ouvrit une bouche immense en aspirant l’air bruyamment. Un 2ème paquet de seins noirs rejoignit la maison de Jukin depuis la porte de son voisin. Cette fois tout le monde remarqua.

D’un même mouvement ils se dirigèrent vers la porte. L’agent spécial avait déjà disparu. Face à l’imprévu, les uniformes s’effaçaient quelque peu, pour laisser apparaître les hommes en dessous. Les regards intrigués s’échangeaient à la dérobée, que ce soit entre les agents, entre Pétro, Sirunyk ou Jukin, mais aussi entre les agents et les 3 habitants. De manière tacite, ils laissèrent Jukin approcher la porte en premier. Il trébucha. Aucun bruit suspect ne se faisait entendre depuis l’intérieur. S’en était presque plus effrayant. Les chefs des costumes sortirent leur arme et lui firent un signe de la tête. Il déverrouilla la serrure et attrapa la poignée. Sirunyk rota d’anxiété.

Jukin ferma les yeux en tournant la clenche qui grinça vulgairement. L’espace d’un instant, plus rien ne bougea. La porte s’entrouvrit alors, mais rien n’en sortit, comme tous l’attendaient voire l’espéraient. Jukin dévisagea les hommes autour de lui, Pétro ne souriait plus, il s’engouffra chez lui.
Tout était noir à l’intérieur, il chercha l’interrupteur au toucher et l’actionna. Son séjour resta noir. Pourtant l’ampoule brûlait. Seulement l’éclairage lui renvoya une légère brillance et il identifia des poils qui recouvraient tout. Il crut avoir été miniaturisé et glissé dans une cavité nasale, mais une paroi ondula et le ramena à la réalité : des milliers de sphères mammaires chevelues grouillaient sur ses murs et ses meubles. Un des chefs s’introduit à sa suite, le flingue en avant et se figea, comme face à un cul de sac. Il dû faire le même parcours mental que Jukin car finalement il pointa son arme vers les poils puis lui fit signe de ressortir.
Une fois dehors, il convoqua le 2ème chef. Pendant ce temps, Pétro et Sirunyk questionnèrent Jukin du regard. Ce dernier ne put qu’hausser les épaules. Quand Pétro s’approcha de la porte, un agent le maintint à distance.
_ T’es pas curieux de savoir ce qu’ils ont vu là d’dans ? lâcha-t-il.
L’homme resta impassible.
_ Tu fais un drôle de cerbère avec tes lunettes disco !
Apparemment l’homme était bien entraîné.
Les deux chefs s’isolèrent dans un coin et sortirent un boîtier de communication. Sirunyk approcha pour protester sur la répartition. Ils le pointèrent aussitôt avec leur arme.
_ Des poils ?
Pétro essayait de soutirer des informations à Jukin. Il n’était pas satisfait alors il retourna tenter le coup auprès du garde.
Jukin s’avança vers le météore et trébucha encore, il décida qu’il était bien là.
_Je te refile les plus belles parties d’un mouton et tu me laisses entrer, ça vaut ! essaya Pétro.
Les deux chefs semblèrent acquiescer en direction de la petite lentille sur le dessus du boîtier et achevèrent ainsi leur aparté. Ils s’approchèrent en saccade et s’adressèrent aux deux habitants :
_ Suite à la découverte de cette dégueulasse et misérable vie extraterrestre qui pullule et prolifère dans tout notre univers, votre météore perd toute valeur marchande. L’A.S.E. n’est plus intéressée par son rachat.
Comme répondant à ces paroles, un bourdonnement discret s’éleva. Les deux équipes se replièrent d’une manœuvre longtemps répétée. Aussitôt, les grilles se refermèrent sur les jardins vides. Silence momentané.
Sirunyk comprit alors les conséquences et se retourna vers Jukin :
_ C’est ton météore, il ne vaut plus rien, fais en ce que tu veux, gronda-t-il avant d’esquiver un mouvement vers son jardin.
Semble-t-il déclenché par ces nouvelles paroles, le bourdonnement s’intensifia. Sirunyk stoppa. Les 3 habitants se regardèrent avant de s’éloigner vivement de la porte de Jukin qui vibrait. En passant devant le trou dans le mur, ils aperçurent celle de Sirunyk qui vibrait aussi, quoique moins intensément.
Le grondement se fit alors plus effrayant. Un raclement multiple tambourinait sur le bois à une allure infernale. Il sembla même se gonfler. Les portes cédèrent.
La nuée de tétons au charbon s’envola depuis les chambranles. Une matière inconnue devait animer ces créatures car elles volaient sans ailes en émettant un léger bruit feutré. Il y en avait pourtant des milliers.
Une centaine d’entre elles forma une fine ligne en spirale autour du météore qui se mit en rotation. L’énergie cinétique l’arracha au sol, d’une trajectoire fluide il rejoignit le cosmos. Quelques secondes plus tard tout était fini.

Le temps de comprendre ce qui s’était passé, Sirunyk repassa dans son jardin directement par le trou en lâchant :
_ C’était bien TON météore.
Puis Pétro et Jukin entendirent la porte claquer. Un cri sourd retentit alors et la porte se rouvrit. Un dernier sein poilu s’éleva vers le ciel. La porte claqua de nouveau, encore plus fort
Ils se regardèrent et sourirent. Pétro tendit le quartier de viande qu’il avait toujours gardé à la main. Comme Jukin lui rendait une expression incrédule, il lui posa carrément dans la paume avant de se retourner et partir discrètement. Quoique ses fesses aux auréoles rouges visibles sous le nœud du tablier ne passaient guère inaperçues.
Jukin, maintenant seul, regretta de n’avoir pu toucher le météore. Aussi futile et vaniteux que puisse paraître ce geste, devant la cupidité qui semblait régir l’univers, il avait espéré que la sensation d’une roche millénaire et le symbole métaphysique derrière ce contact le réconcilierait avec le mystère à l’origine de la vie. Il alla vers sa porte et trébucha.

31

Ce matin, Jukin se sent flasque.
titre proposé par Marion

C’était une période sombre. Jukin voulait en inverser la tendance. Il ressortit à cet effet sa plume de collection dont le coffret prenait la poussière au grenier. Elle lui évoquait un passé faste et il espérait ainsi briser le flux négatif.
Assis dans un fauteuil du séjour, la tige roulait entre ses doigts tandis que son cœur se réchauffait à ses souvenirs. Mais elle lui échappa. Comme paralysé, il regarda son vol irrégulier jusqu’au radiateur. Quand il put se mouvoir, elle s’engouffra derrière les barreaux de fonte. Vraiment, il fallait rompre cette chaîne. Bien entendu sa main ne passait pas. Alors il s’allongea au sol et tenta de souffler sa plume par en dessous. Elle remontait pratiquement en haut, mais le radiateur était trop grand pour qu’il puisse en même temps s’en saisir de la main. Furieux, il se redressa et força pour passer son bras. Il se meurtrissait et ça ne changeait rien. Il abandonna. La plume coincée semblait le fixer.
Cet affront supplémentaire l’avait épuisé, si bien que son bras lui semblait se liquéfier d’accablement. Il n’avait pas encore remarqué, mais le bout de ses doigts était vert pistache. Laissant son imagination dériver de ses sensations, il plaça sa main au dessus du radiateur. Elle s’allongeait mentalement à mesure que la couleur verte remontait. Jukin la remarqua, mais ses doigts immenses et gélatineux atteignaient la plume. Il se disait que c’était formidable même si le vert recouvrait déjà son poignet. Quand le bout de ses ongles déplaça la plume, il sursauta. Tout cela était réel. Sa main molle et verte pendait derrière le radiateur sur 70cm. Le majeur à lui seul devait atteindre les 40cm. Paniquant à cette vision, il se mit à courir sans but. Son membre retrouva alors son état normal. Il s’arrêta net et vérifia 1000 fois qu’il n’était plus élastique et compara longtemps sa couleur avec son autre main. Convaincu que tout était rentré dans l’ordre, il devina la raison de sa déformation temporaire.
Voilà quelques semaines, il avait gagné un concours. En récompense, on lui livra le poids d’un éléphant en boîtes d’entremets. Ils étaient si délicieux qu’il s’en était gavé. C’est simple, la semaine passée il ne mangeait plus que ça.

A genoux devant ses toilettes, l’angoisse faisait encore frissonner ses mains tandis qu’il vidait les sachets dans la cuvette. Ce sont des centaines de cartons de poudre dont il se débarrassait frénétiquement. Fébrile mais consciencieux, les emballages finissaient dans le sac de tri sélectif. Il activa encore sa chasse d’eau.

Par les tuyaux en PVC, les entremets déshydratés se déversaient jusqu’aux égouts. Ne se mélangeant pas bien aux eaux usées, ils formaient un petit patatoïde verdâtre gluant qui flottait lentement. La totalité des lots du concours s’agglutinait ainsi progressivement.

Jukin déambulait déjà au supermarché, il voulait se refaire une santé. Dans son caddie s’accumulait tous les aliments riches en fibres, ainsi que des boîtes de smecta. En passant il fit tomber une conserve de cassoulet. Las, il souhaitait qu’elle remonte toute seule dans le rayon. Son bras ramollit aussitôt et s’allongea en verdissant. Il se saisit de la boîte. Dans le même mouvement il la déposa avec ses consœurs avant de faire quelques pas en arrière. Aussi pratique qu’effrayant. Son bras redevint normal.
En recommençant aussitôt l’expérience avec succès, il fut rassuré de contrôler la manœuvre. Au bout de l’allée, une grosse femme le dévisageait. Quand il se retourna, elle lui lança : « Vous êtes un répugnant personnage Monsieur. » avant de se détourner, le visage crispé d’une grimace. Bien que commençant à apprécier son pouvoir, le dégoût persistait.

Dans les égouts, l’immense masse atteignait les rapides. Le courant s’y accélérait en chutes saccadées qui remuaient l’eau. La poudre commença à se dissoudre aux pieds des cascades où se formait une mousse verte. Les entremets se gélatinisaient. Le volume du dessert emplit rapidement la totalité du tunnel qui achevait sa course dans un bassin de rétention.
Un gros rat à la crête blanche drue sortit d’un tuyau, sûrement alerté par le vrombissement qui approchait. Ses petits yeux noirs et brillants ne voyant rien qu’ils puissent associer à ce son, il s’avança sur une pierre à gué.
L’entremet géant, complètement formé désormais, déboula du virage un peu plus haut. Le rat se retourna et bondit vers son tuyau. Mais le dessert fut plus rapide et l’engloutit avant de submerger le bassin de rétention.

Jukin transportait ses deux gros sacs à travers le parking. Leur masse imposante le rassurait même si les poignées lui meurtrissaient les phalanges. Du concret solide et pesant, voilà ce à quoi il voulait se raccrocher pour oublier sa différence. Quand il atteint le bout du parking, un cri aigu transperça l’air, il se retourna en sursaut.
La scène devant le supermarché s’était métamorphosée. Des familles entières couraient en tout sens depuis l’entrée. Elles étaient aussitôt remplacées par celles qui sortaient du magasin et succombaient à leur tour à la terreur. La plaque d’égout à 20 mètres de l’entrée déversait un immense monstre vert gélatineux. Il agitait simplement sa masse flasque pour créer la panique. On pouvait appeler tête cette excroissance décorée de deux pépites noires brillantes qui oscillait au rythme des fuyards. De même, si les gens affolés s’arrêtaient un instant, ils désigneraient sûrement par crête cette brosse verte plus pâle qui dépassait du sommet.
Jukin était fasciné par le monstre qui se contorsionnait sur place. Comme cette foule vibrait toujours dans le même espace, les gens alimentant indéfiniment le cycle de panique, on obtenait le tableau d’une agitation immobile perpétuelle.
Finalement la créature attrapa une voiture et la jeta sur la foule. Ce test l’amusa alors il recommença. Un homme furieux de voir son 4x4 fracassé s’avança imprudemment. La masse verte l’engloutit d’un tentacule, ce qui augmenta la panique générale.

Mais quelques instants plus tard, tout se figea. Batman arrivait. Rassurés, les gens se remirent à courir en applaudissant. L’entremet gigantesque se détourna avec dédain avant d’attraper une nouvelle voiture. Jukin admirait depuis toujours. Il était presque fier qu’il vienne régler sa catastrophe.
Après avoir interpellé le monstre sans résultat, le justicier sombre lui jeta un batarang© qui disparu dans la gélatine. Puis un second avec le même résultat. Alors il sortit son bat filin© et en enroula une voiture. Avec autorité il rassembla des volontaires aux gros bras pour soulever le véhicule. D’un saut puissant il alla accrocher l’extrémité à l’enseigne du magasin et d’un geste de sa main ils lâchèrent le véhicule. Dessinant une belle courbe, il fonça vers la masse verte. Mais il passa au travers et défonça la devanture. Des éclaboussures pistaches aspergèrent les affolés les plus proches.
De retour au sol, s’approcha de l’entremet qui continuait de l’ignorer. Il appela : « Hé ! Toi là ! ». Le monstre se retourna, prit un air étonné et se désigna d’un tentacule vert. « Oui toi la grosse morve ! Tu retournes d’où tu viens ! » Le gluant vert se redressa. Jukin crut qu’il le cherchait dans la foule, il angoissa intérieurement, sans bouger. L’entremet gonfla encore, il dépassait le supermarché. Quand il atteint le lampadaire il s’affaissa sur et l’avala. La foule était stupéfaite. Nouvelle suspension. Puis tout le monde hurla et paniqua subitement. Jukin était dévasté.
Dans la cohue, une petite fille non loin de lui fut bousculée. Elle allait tomber avant d’être piétinée. Par réflexe il tendit son bras et comme il était trop court, il le ramolli et rattrapa la petite fille. Il jeta aussitôt des regards autour de lui. Heureusement personne n’avait fait attention. La gamine s’approcha. « Merci monsieur, vous êtes gentil. Vous êtes Superflasky ? Vous allez nous sauver ? » Il était confus et ne put que balbutier. Il perçut alors un appel dans sa direction : « Emy ! Emy ! Tu vas bien ? » Les parents, semblait-il, se frayaient un chemin dans la masse affolée. Avant qu’ils ne les atteignent, la petite fille ajouta : « Monsieur, est-ce que votre bite est toute flasque elle aussi ? » Jukin était bouche bée quand les parents enlacèrent leur fille et la couvrirent de baisers. « Merci monsieur, merci infiniment » lâchèrent-ils en poursuivant leur route.

Il n’avait pas le courage d’agir, mais étant le responsable de ce désastre, il se mit en marche vers l’entremet. Il ne savait pas ce qu’il allait faire exactement, mais il ne pouvait pas rester plus longtemps à observer. Une grosse voix grésillante l’interpella. Pourtant le monstre était occupé à suspendre des gens par leur pied tout en leur donnant des pichenettes dans la tête. Tandis que la police installait un cordon de sécurité, un agent lui parlait au mégaphone : « Monsieur ! Nous prenons les choses en main, veuillez regagner la zone de sécurité ! » Jukin voulait protester mais l’homme ajouta : « L’armée est en route. Ne tentez rien d’idiot. Evacuez immédiatement la zone ! »
La voix alerta le monstre. Il se retourna et découvrit Jukin à contre courant. Il se laissa rouler en arrière et fut aussitôt sur lui. Un tentacule verdâtre jaillit pour l’engloutir. Jukin ne bougea même pas, mais la matière verte à son contact fut repoussée. Pendant un court instant, son cou et sa nuque qui avaient été touchés, revêtirent une teinte verte avant de redevenir beiges. Surpris, l’entremet lança une énorme masse pour le recouvrir. Jukin était englouti. Mais quand le monstre réintégra cette masse à son corps, Jukin était encore debout au même endroit. Un fourmillement le parcourait, accompagné d’une chaleur intérieure. Sa teinte émeraude s’estompa rapidement, une énergie nouvelle le remplissait. Il ressentait la puissance de son pouvoir alors il cria : « Je suis SuperFlasky ! » En même temps il tenta d’arracher sa chemise. Le bouton du haut sauta, suivi uniquement du 3ème. Il ne portait rien en dessous, alors quand le coup de sang fut passé, il resta ainsi avec une chemise à moitié déchirée.
leva un bras de façon très théâtrale, les gens continuaient de courir en tout sens autour de lui. Et il se jeta dans le monstre. Tout était vert à l’intérieur. était tout de même déçu qu’il n’y ait pas un petit effet visuel. Vert en permanence, une bulle se formait autour de lui. D’ailleurs il s’habituait à cette couleur, et l’acceptait petit à petit si elle devait être la sienne jusqu’à la fin de ses jours. Il chemina dans la masse en croisant quelques personnes prisonnières. Il les accepta dans sa bulle et les amena jusqu’à la paroi pour les délivrer. Jusqu’à présent il n’avait frayé que dans de la gélatine, mais quelque chose devait animer cette masse. Un léger couinement se faisait entendre, il décida de suivre sa direction. Il progressa un peu et réalisa que le bruit venait de plus haut. Alors il se mit à escalader dans sa bulle.
Une masse sombre apparut. C’était , recroquevillé, qui suçait son pouce ! Ne l’ayant pas encore remarqué, Jukin prit le temps de graver cette image dans sa mémoire. Sa pitié se mêlait à son ancienne admiration désormais brisée. Alors il recula d’un pas. ne l’avait pas vu.
Le couinement se fit entendre à nouveau. De plus haut. poursuivit son ascension. De l’intérieur, le monstre apparaissait bien plus immense.
Soudain sa bulle sembla se percer. En fait elle fusionnait avec une autre bulle, encore plus grande. Il découvrit alors l’atroce vérité. Un vieux rat dégueulasse surmonté d’une crête blanche trônait sur un renflement gluant. De fins tentacules vert foncé tombaient du plafond jusqu’à son crâne. sortit de son effarement pour arracher les monopodes de l’encéphale du rat. Mais à chaque fois qu’il en enlevait un, un nouveau tentacule jaillissait du plafond de la bulle et se reconnectait. Il accéléra alors la manœuvre, mais les tentacules naissaient encore plus vite. Il abandonna, une boule pesant sur son estomac.
Dans la logique floue de cette situation il se dit que ça pouvait marcher. Alors il ferma les yeux et repensa à toute cette période sombre. La boule se gonflait de son ressentiment et il se sentait de plus en plus mal. Mais pour déclencher le mécanisme, il lui manquait quelque chose. Il invoqua sa propre répulsion de son pouvoir. Ça venait. Un énorme dégueulis crapaud jaillit de sa bouche tordue. Il dirigea tant bien que mal le jet sur les connections. Ses pieds avaient déjà perdu leur teinte, ils s’enfonçaient dans le sol. Les tentacules se détachaient un à un en lâchant une petite fumée, et aucun ne venait les remplacer. Par contre le plafond s’affaissait à chaque déconnexion.
avait déjà de l’entremet jusqu’à la taille et sa gorge le brûlait. La masse entière perdait toute consistance. Mais un dernier tentacule lui résistait. Celui fixé au bulbe céphalo-rachidien du rat. n’avait presque plus de vomi et il restait maintenant à peine 8 cm entre le plafond et le sol. Il alla chercher le fond du réservoir par une pensée sombre dans un dernier spasme, il n’avait plus rien. Les dernières gouttes roulèrent sur le crâne du rat et atteignirent le tentacule. Il se détacha. se jeta aussitôt pour s’enrouler autour du rat. Son contact le répugna mais il le serra bien fort avec ses bras et son abdomen. Tout s’affaissait. La masse verte n’était plus qu’un liquide en suspension alors la gravité reprit vite le dessus. Un pseudo tentacule tenta d’atteindre le rat pour se reconnecter, mais le protégeait. Tout s’affala en cascade, dans un bruit aqueux.

était déjà debout, se débarrassant des restes d’entremet. Quelques militaires accoururent. Jukin était sonné, il se redressa sur son coude. Le rat en profita pour fuir vers une plaque d’égout. Jukin savait qu’il n’y avait plus de risques. Un militaire le redressa brutalement :
_ Vous n’avez pas réussi à sortir comme les autres otages ?
Blessé par cette présomption, il ne put répondre. Le militaire l’amena au cordon de sécurité. Un peu plus loin, s’exprimait à la télévision :
_ J’ai compris que tout se passait à l’intérieur, alors je me suis laissé engloutir. Ensuite, j’ai lutté longtemps pour tuer le cerveau gélatine.
Jukin n’en revenait pas, il s’approcha :
_ Vous ne manquez pas de culot. C’est moi qui ai tué le monstre, vous pleuriez en suçant votre pouce !
Un éclat de rire claqua tout autour de lui, mais il poursuivit :
_ Il n’y avait pas de cerveau, c’était un rat qui donnait vie à la créature !
Le journaliste amusé se tourna vers lui :
_ Où est-il ce rat maintenant Monsieur ?
_ Il s’est enfui, répondit Jukin prit de court.
Le journaliste reprit tout de même :
_ Mais comment vous déplaciez-vous Monsieur ? Les otages nous affirment avoir été englués à l’intérieur.
_ Vous ne m’avez pas vu ?! J’avais le pouvoir d’être vert aussi !
Le rire général l’informa que personne ne l’avait vu.
_ Mais alors comment lui se serait-il déplacé ? contre attaqua-t-il en désignant .
Ce dernier semblait gêné tout à coup, mais un homme dans la foule lui évita l’embarras de répondre :
_ C’est Monsieur !
Tout le monde rit à nouveau. Le journaliste enchaîna :
_ Devenez vert alors Monsieur, montrez nous vos extraordinaires pouvoirs.
Jukin se renfrogna, il lâcha d’une voix blanche :
_ J’ai dû les sacrifier pour sauver tout le monde.
Nouvelle hilarité. Il baissa la tête et commença à s’éloigner lentement. Au passage un militaire lui lança :
_ Vous pourriez remercier , il vous a sauvé la vie !
_ Laissez, laissez, coupa faussement magnanime.
Jukin se retourna une dernière fois, juste le temps de voir un enfant se faire prendre en photo avec le héros. Le flash de l’appareil lui rappela la photo que Batman lui avait offerte une nuit d’errance.

Dégoûté, il quitta le parking. Les parents de la petite fille le rattrapèrent. Ils souhaitaient le remercier à nouveau d’avoir sauvé leur Emy. Elle lui fit un bisou sur la joue, Jukin se réchauffa un peu.
_ Tu sais Monsieur, j’ai vu que tu avais sauvé tout le monde.
_ Vraiment, tu sais que c’est moi ?
_ Oui , et je sais que je dois garder le secret, comme pour tous les supers héros.
Jukin mit toute sa reconnaissance dans son simple « merci ». Elle comprit son soulagement et ajouta :
_ Je sais maintenant que ta bite n’est pas flasque et que tu as deux grosses couilles.
Afin de ponctuer son affirmation, comme si la chorégraphie était prévue, ses parents s’agenouillèrent à côté d’elle et tous lui firent un immense sourire plastique. Elle était fière de lui et ses parents semblaient fiers d’elle. Jukin était atterré, mais il réussit à sourire. Ils le quittèrent finalement sur cette image de reconnaissance. La gêne passée, Jukin rentra chez lui tout regonflé et la queue bien dure.

30

Ce matin, Jukin ne s’est pas réveillé chez lui.
titre proposé par Candice

Les yeux encore fermés, il profitait de cet instant fugace entre deux mondes. Il se savait réveillé mais le doute persistait. Sa pensée consciente était embrouillée de fantasmes, de sensations floues toutes enchevêtrées et superposées. Cet état fou était agréable comme une ivresse. Insaisissable en pleine possession de ses moyens rationnels.
Savourant ses sensations, il avait l’impression que ses draps étaient plus doux qu’à l’accoutumée. Même son ressenti corporel devait être altéré. Il succomba au bonheur de son érection matinale. Elle était dure comme du bois.
C’est alors qu’une main se posa dessus. Et ce n’était pas la sienne. Malgré le sursaut, elle persista et commença à le caresser. Très doucement, de la pulpe des doigts, c’était presque chatouilleux. Il ne pouvait deviner qu’une forme sous le drap. Elle ondulait sensuellement au rythme de la main. Jukin sentait son membre comme jamais, les yeux toujours fermés, il l’imaginait violacé.
Maintenant la main l’empoignait fermement à le rendre fou et une seconde main glissa sur ses boules pour le supplicier. Il ne respirait déjà plus. Expédié dans le 3ème monde, son esprit flottait de délectation. Il éprouvait pleinement cette joie spontanée, alimentée par ces mains sulfureuses. Les lents mouvements des doigts qui serraient fortement son membre l’envoûtaient.
A cet instant une bouche aussi humide que gourmande l’engloutit. Il ne put retenir un cri d’extase avant de se laisser aller. Aussi dur qu’il était, il se sentait fondre comme une guimauve. Et malgré la surprise, les gestes étaient tellement fluides, inscrits dans une logique paraissant si évidente, qu’il ne se posait aucune question. C’était si naturel qu’il lâchait totalement prise. Sans s’en rendre compte, sa main glissa doucement sur les longs cheveux soyeux et commença à les caresser. Son corps tel qu’il l’appréhendait autrefois avait disparu. Son corps était désormais sur le même plan que son esprit, vivant directement en sensations. Plus rien d’anguleux ni de solide. Les frissons vibrants s’enchaînaient à mesure que les mains parcouraient son bas ventre et ses cuisses. La bouche insatiable n’avait de cesse de remuer son âme. Et la fine langue de braise venait brûler encore un peu plus ses chaires.
Dans une vague fluide, une main experte lui enfila un préservatif. Toujours sans brusquerie ni interruption, il se retrouva en elle. La volupté intense fit éclater toutes les limites. Elle plongea dans son cou, toujours sous le drap. Il laissa ses bras la serrer très fort et découvrit ses gémissements si excitants. Déjà, leurs respirations étaient simultanées et leurs transpirations se mélangèrent pour achever la fusion. Le plaisir enflait de minute en minute, tout avait disparu autour. Ne persistait que la sensation, l’oubli. Eux-mêmes n’existaient plus. La tension extatique atteint l’orgasme. Ils se serrèrent. Le corps physique reprenait le dessus. Suzanne fut chavirée par les contractions de son membre au fond d’elle. Jukin libérait des jets d’une puissance inconnue, il cria de nouveau. Le tourbillon dura longtemps encore après que la jouissance fut consommée. Ils ne pouvaient plus bouger. Lentement, ils redescendaient vers le lit. Enfin ils atterrirent dans la réalité.

Jukin avait ouvert les yeux, Suzanne avait rejeté le drap. Après un regard de complicité, un moment passa à savourer le présent. Quand finalement ils s’ébrouèrent et se levèrent, elle proposa le petit déjeuner. Ils étaient nus dans la cuisine, elle préparait le plateau. Jukin ne résista pas longtemps à venir se frotter derrière elle. Affamée, elle le repoussa gentiment.
Une fois dans le salon, ils grignotèrent copieusement. Il lui caressa les seins et commença à l’embrasser trop lascivement à son goût, elle s’esquiva. Après avoir débarrassé le petit dej, quand Suzanne remit de l’ordre à la chambre, il agrippa avidement ses fesses. Cette fois elle le repoussa fermement et lui reprocha son obsession. Ses fines lèvres roses se pincèrent. Sans brusquerie elle exprima sa retenue. Elle espérait partager d’autres choses avec lui, estimant qu’une telle fusion pouvait s’étendre sur d’autres plans, qu’ils s’en trouveraient enrichis et que l’extase elle-même en serait grandie. Dans le prolongement de sa parole, Suzanne alla prendre sa douche, pour laisser le temps à Jukin de se calmer.

Une fois seul il put rassembler ses idées. Ça avait été tellement bon et fort que son désir affolé ne s’arrêtait plus. Suzanne et lui s’étaient croisés des mois plus tôt, sans faire vraiment connaissance ni pouvoir échanger leurs contacts. La veille ils s’étaient rencontrés fortuitement, car Suzanne était revenue habiter la même ville. Le plaisir étant partagé ils firent naturellement connaissance. Et le plus logiquement du monde, ils dormirent chez Suzanne, nus. Mais toujours sans consommer ce désir qui naissait.
En se repassant le film des évènements, Jukin réalisait qu’il avait totalement cédé les commandes à son sexe depuis le matin. Tout à coup il était confus et même honteux de ses gestes. Sans plus réfléchir, il attrapa un stylo et une feuille sur le bureau afin de s’excuser. La note rédigée rapidement fut laissée derrière lui avant de quitter l’appartement. Il se disait que c’était la meilleure chose à faire. Il ne pouvait plus assumer ses pensées, son réel désir devant elle. Elle méritait mieux que cela.
Une fois dans la rue, il se sentit soulagé de sa culpabilité. Elle resterait sans cet appartement, avec Suzanne.

Quand elle sortit de la salle de bain en lingerie sexy, Suzanne ne trouva pas Jukin dans la chambre. Ni nulle part chez elle. Prête à assouvir son désir et le sien, elle trouva la note. Quel dommage qu’il ait réagit si brusquement. Elle avait eu l’intention de faire monter leur désir, que ça ne devienne pas banal, tout en comprenant et en étant flattée de ses gestes. Elle regrettait de l’avoir blessé, n’imaginant pas du tout qu’il refoule ainsi son désir spontané. Mais elle ne pouvait renier ses paroles sincères. Elle accepta avec tristesse et frustration sa décision. N’ayant laissé aucune adresse, elle n’avait pas moyen de le retrouver. Suzanne espérait profondément qu’il reviendrait.

Une vieille femme affolée interpella Jukin dans la rue. Son chat était bloqué en haut d’un arbre. Heureux de penser à autre chose, il entreprit aussitôt l’escalade. Il regretta bien vite son enthousiasme, car l’arbre était épineux. Même avec 1000 précautions, à chaque fois qu’il posait sa main, il se piquait. C’était d’autant plus surnaturel que là où le tronc était bien lisse, il se blessait douloureusement sur des épines invisibles. Le calvaire dura un bon moment. En plus la vieille hurlait hystériquement, croyant à chaque instant que son chat immobile faisait une chute mortelle. Et ce foutu chat avait peur de lui. Il fuyait sur une autre branche à chaque fois qu’il tentait une approche. Bien entendu, l’animal ne semblait se piquer nulle part.
Finalement il l’attrapa, tout énervé et se laissa tomber. La vieille devint soudain trop enthousiaste, comme s’il venait de sauver la terre entière. Elle sautait partout de façon grotesque et l’embrassait sans gène. A voir toute cette énergie, Jukin se dit qu’elle aurait très bien pu aller le chercher elle-même ce chat. Puis la vieille lui proposa de prendre le thé chez elle pour le remercier. Il accepta de bon cœur, il avait besoin d’un réconfort.
Marthe vivait à moitié dans le noir, si on exceptait son immense télé toujours allumée, le son coupé. Le salon était vaste mais vieillot. Difficile à distinguer, le sol devait être un vieux plancher car d’affreux craquements couinaient sous leurs pas. Marthe lui offrit un fauteuil et alla à la cuisine. Il profita de cet instant de calme pour observer l’intérieur. Bien qu’il soit assis, il percevait encore des craquements un peu étouffés.
Un motif rayure recouvrait tous les murs et les meubles, c’était quelque peu oppressant. Heureusement qu’il y faisait frais. La vieille revint avec son plateau à thé et s’installa dans l’autre fauteuil. Le vieux cuir devait être tout sec car il fit un terrible bruit de déchirement. Marthe était très bien conservée pour son âge, elle avait encore un charme attirant, même pour des hommes plus jeunes. Quand elle posa la main sur le genou de Jukin, toute sa frustration sexuelle remonta. Elle le complimentait et commença à caresser sa cuisse. Il percevait l’assouvissement possible de son désir, ça l’excitait, alors il se laissait faire. Elle lui proposa de lui faire visiter sa chambre à l’étage, il la suivit.
Dans le couloir vers l’escalier, le craquement continua. Tout comme dans l’escalier qui devait être vétuste. Enfin, dans la chambre à l’épaisse moquette murale, le craquement redoubla. Jukin se figea alors, car le sol était aussi en moquette. Dans cette pièce, rien ne pouvait craquer. Marthe vit son changement d’expression, elle s’approcha dans un autre grincement. Lentement, elle posa sa main sur sa joue. C’était comme du carton ! Sa peau à l’allure normale était en fait rêche comme du papier de verre.
Toutes les lamentations de plancher usé et de cuir desséché depuis leur rencontre jouèrent dans sa tête. Les tiraillements du derme de la vieille prirent la place des images de matériaux qui y étaient associés. L’écoeurement monta aussitôt. Il sourit à Marthe mais fit volte face et sortit de la maison en un éclair. Se retrouvant seule, elle cracha salement puis cria : « encore raté ! »
Une fois dans son jardin, elle ressortit l’échelle de sa cachette et la posa contre l’arbre. En un mouvement souple Marthe avait déjà replacé son chat en haut de l’épineux.

29

Ce matin, Jukin a perdu son bulbe céphalo-rachidien.
titre proposé par Tim


Les rayons du soleil étaient jaunes. De petites pattes poilues tentaient de jouer avec. Mais à peine effleurés, ils disparaissent. Finalement lassé de cette lumière immatérielle, le chaton se laissa glisser dans la maison depuis le rebord de la fenêtre. Deux moutons de poussière attirèrent son attention pour les faire rouler quelques instants. Après avoir éternué, il se détourna et bondit sur une masse brune. Elle se souleva aussitôt d’un geste réflexe.
Jukin fut surpris de cette attaque, puis se rallongea en découvrant son assaillant. Le chaton noir venait de le tirer de sa rêverie ou peut être d’une sieste, il ne savait pas bien. Allongé par terre dans son séjour, il profitait d’une vue différente par la fenêtre. Le feuillage de l’arbre lui apparaissait autrement par en dessous. En plus, le soleil s’alignait avec la frondaison ce qui soulignait le relief des feuilles. Il se saisit de la boule de poils et se laissa aller à plat dos. Il redécouvrait sa maison. Tandis que le chaton s’agitait entre ses mains, il observait ses objets familiers. La perspective les déformait, faisant apparaître leur face cachée. Comme-ci une vie dérobée à son regard s’épanouissait chaque jour à quelques centimètres. Ne pouvant plus retenir l’animal entre ses doigts, il le laissa filer dans son cou. Même ses murs semblaient venir d’une dimension parallèle. Extérieurement semblable à la notre, mais recélant un brin d’altérité invisible. Dans cette position il put se prêter à un jeu qu’il adorait : s’imaginer marcher sur le plafond devenu le sol de la pièce.

C’est alors que le chaton lui gratta le bulbe céphalo-rachidien. Mais rien ne se passa. Jukin se releva précipitamment et toucha son bulbe avec réticence. Il s’était interdit ce geste par auto reconditionnement car une sensibilité exacerbée lui faisait perdre connaissance à chaque contact. Son bulbe n’était plus là ! Il courut ouvrir le tiroir dans lequel il le rangeait quand il entreprenait des tests dessus, dans l’espoir de mettre fin à son syndrome.
Le tiroir était vide, et son bulbe lui manquait. Il fixa l’arbre par la fenêtre dont le feuillage avait retrouvé son aspect normal, vu à hauteur d’homme, le temps de glisser ses mains dans ses poches. Son majeur rencontra alors du métal froid. C’était la mini clé du mini tiroir dans le tiroir à bulbe. Mais elle était habituellement rangée dans le pot à cerise. Quelque chose se passait. Un plan était en marche, chez lui, et il n’était pas au courant. Comme un viol. Il espérait secrètement que le chaton avait maladroitement déplacé tous ces objets. Quand il découvrit au fond du mini tiroir dans le tiroir une pièce de puzzle, le souffle lui manqua. Elle représentait la tête d’un chaton portant un nez rouge.

Il parcourait déjà les boîtes de puzzle dans la grande armoire de sa chambre et trouva celle qui correspondait. A l’intérieur, les autres pièces attendaient d’être assemblées. Et rien d’autre. Pas de quoi constituer un indice. Était-il simplement dans un délire paranoïaque ? Même si son esprit était enclin à cette tendance, il lui semblait tout de même que ce morceau de puzzle représentait le départ d’une chaîne logique.
L’idée surgit alors dans une fulgurance. Le lien était indirect, il fallait utiliser les associations d’idées. Jukin plaça la pièce dans la paume de sa main bien plate et laissa courir son esprit : puzzle / énigme / musulman / coran / cochon / jambon ! Il fondit dans son réfrigérateur et sortit sa barquette de jambon. Sous la tranche il découvrit une autre tranche. Mais sous la 2ème tranche il y avait une ampoule. Il posa à plat l’ampoule dans la paume de sa main et recommença : ampoule / lumière / vitesse / infini / tube / gouttière ! Il grimpa au grenier d’un trait, sortit par la trappe menant au toit et inspecta toutes ses gouttières. De retour au séjour, il avait récolté une belle boule de mousse et deux oiseaux morts. Ça n’allait pas. Il se saisit à nouveau de l’ampoule et remarqua cette fois un griffonnage.
Alors il intervertit avec celle du séjour et alluma. Mais l’inscription qui apparu au mur était brouillée par le motif du papier peint. Il l’enleva et s’introduit dans la salle de bain obscure. En effet, l’ampoule y manquait mystérieusement. Il plaça directement celle qui sentait le jambon dans le culot, elle s’emboîta parfaitement. Cette fois l’inscription était nette :



Le message crypté luisait sur le mur d’un blanc intense. Il s’agissait d’un vieux système de son enfance. Heureusement le souvenir lui revint.



Et il cracka le code :

dessus
meuble
cuisine


Déjà sur son escabeau branlant, il découvrit au dessus de la hotte aspirante des lettres formées dans la poussière : la face cachée de la lune.

La boîte des pétards du 14 juillet était encore dans son atelier. La poudre de ses bisons 4 remplit un gros sachet d’où il fit pendre une mèche. Fourrant le tout dans un tube d’aluminium qu’il colla sous un tonneau, il mit le feu aux poudres avant de bondir dans le tonneau. La poussée fut suffisante pour décoller. Cependant, dans la précipitation, il n’avait pas pensé à sortir l’engin de l’atelier avant de l’allumer. Après un fracas et une volée de petit bois, il se redressa et aperçut depuis le ciel par le trou dans le toit son sol cramé.
L’ascension se fit régulière mais la lune approchait déjà plus lentement. Toujours en apnée, Jukin visa un cratère à travers la buée de ses lunettes de piscine. La trajectoire rectiligne de l’engin se courbait à mesure qu’il ralentissait, si bien que l’ellipse serait trop courte pour croiser celle du sol lunaire. Il devrait sauter au bon moment. Les dernières traînées de poudre pétaradèrent, il se prépara. Ses calculs ne pouvaient souffrir d’aucune erreur sous peine d’errer à jamais dans le cosmos. Il s’élança. Sous l’impulsion, le tonneau presque immobile retomba derrière lui dans le vide vers la terre. La vitesse initiale acquise par Jukin l’amenait vers le sol lunaire. Il semblait trop court et se vit renvoyer à l’espace, mais un petit pet salvateur lui apporta la poussée manquante. Il agrippa la roche froide et se hissa. Enfin sur ses pieds, la tête en bas, il courut s’absorber dans l’ombre d’un noir absolu. Ses doigts à quelques centimètres de son visage demeuraient invisibles.
L’air commençait à lui manquer et le froid l’engourdissait. Il trébucha alors et se figea. Ce n’était pas une pierre. Il se mit à 4 pattes et fouilla le sol au toucher. Il crut trouver plusieurs fois mais ce n’était que des cailloux inertes. Aïe ! Son genou s’était posé sur quelque chose de dur. Il le dégagea de sa rotule et après l’avoir caressé le reconnut : un noyau. Ne tenant plus, il se releva et se laissa tomber de la lune. Le champ de gravité de la terre prit aussitôt le relais, déjà il se réchauffait sur l’exosphère. Le trou dans le toit de son atelier fut rapidement visible. L’atterrissage s’annonçait violent. En pleine chute libre un cormoran le percuta et fut tué sur le coup. Jukin ralentit quelque peu et dévia assez pour terminer sa chute dans un tas d’herbe fraichement coupée. Il remercia mentalement Sirunyk son voisin d’avoir tondu sa grande pelouse.

Sans prendre le temps de se remettre de la chute, il fonça prendre le bus. 5 minutes plus tard, il descendait à la station touristique de l’Anus. Le billet était cher, mais il n’avait pas d’autre possibilité. Un petit tour en train touristique s’imposait.
La descente ne fut d’ailleurs pas désagréable et les informations plutôt instructives dans la mesure où elles faisaient se poser des questions sur le comment et le pourquoi de la vie. Malheureusement, il n’avait pas le temps de se laisser aller à des pensées métaphysiques. Le train avait atteint le fond avant d’amorcer la remontée, il quitta le convoi discrètement. Caché derrière un rocher, il attendait son départ imminent.
Une fois seul, il put marcher en direction des panneaux d’avertissement. Sa recherche commençait précisément là où la visite touristique s’achevait. Il jeta un coup d’oeil à la ronde et s’engouffra dans le tunnel surmonté des inscriptions « Passage interdit », « Danger de mort douloureuse » et « Ne passez pas voyons ! ».
Bien entendu il faisait de plus en plus chaud, et les secousses sismiques étaient de plus en plus violentes, quand le boyau rocheux s’élargit pour déboucher dans une immense cavité. Tout bouillonnait. Même la lumière jaune et rouge oscillait entre les anfractuosités. Jukin s’approcha prudemment. Le gigantesque noyau de la terre trônait au centre. Même si sa surface avait une texture irrégulière, sa forme générale était une sphère parfaite. La partie basse s’enfonçait légèrement dans la roche. Le long du bord une petite rigole laissait circuler un peu de lave. En se déplaçant, Jukin crut deviner une inscription au sol. C’était illisible, roche sur roche. Alors il détacha, non sans mal, un piton rocheux et commença à marteler la pierre au bord du noyau. Ça fonctionnait, la roche était assez friable. Une dérivation de la lave glissa hors de sa rigole. Il l’amena à la sueur de son front et à l’huile de son coude jusqu’au semblant d’inscription. La matière orange en fusion y coula vivement et par un magnifique effet en révéla le message : orteils 1-2 / 9-10.
Jukin fit aussitôt sauter chaussures et chaussettes pour glisser le petit doigt de chaque main entre les orteils sus nommés. En plus de la moisissure, il décoinça deux petits carrés de plastique noir reliés par une charnière ainsi qu’une tête de clé en fer blanc. Pratiquement fusionnés avec sa chair, ils laissèrent des marques une fois extirpés. La base de la tête de clé s’emboîta sur le bord d’un carré tandis que l’autre fut rabattu et clipsé. C’était une clé. Il la reconnut.

Finalement, son périple l’avait ramené à la commode au tiroir à bulbe. Car à droite de ce tiroir, il y avait un autre tiroir, laissé toujours vide. Étrangement, il était fermé à clé. Bien sûr la clé des orteils correspondait et le déverrouilla. Cependant il était encore vide.
Pour s’en assurer, sa main glissa à l’intérieur. Ne touchant rien, elle faillit se détourner définitivement quand une odeur particulière le saisit. Il alla aussitôt s’équiper de sa loupe à atome et parcourut les parois du tiroir. Là, dans un coin, il trouva un atome isolé. Il reconnut son odeur, c’était un atome à lui, l’atome clé.
L’angoisse monta subitement d’un cran. Non seulement on avait farfouillé sa maison, mais lui même avait été trafiqué dans le fin fond de ses entrailles. Il enleva son polo et écarta aussitôt deux cotes sur son flanc. Avec son coude il les maintint en place avant de glisser sa main à l’intérieur. Il la retira immédiatement. Un organe occupait l’espace réservé à l’atome clé. Il commençait à trembler. Ce sentiment de ne plus rien contrôler, d’être le jouet d’une force inconnue retournait son esprit comme une chaussette. Une sueur froide le parcourut encore. De façon tout à fait automatique il se mit à genoux devant la table du séjour et extirpa le rein qui gênait. Mais impossible de le remettre car l’estomac avait pris son emplacement ! Il savait qu’il devait faire immédiatement le vide mentalement sous peine de succomber au vertige.
Méthodiquement, il sortit tous ses organes ainsi que les parties de lobes cérébraux qu’il retrouvait dans son abdomen et les plaçait dans des bassines. Un bout de lobe et son pancréas étaient tellement loin de leur emplacement d’origine que des petits tubes installés précisément servaient de rallonges afin qu’ils bénéficient et participent toujours à la circulation sanguine. Malgré sa concentration, un frisson le glaça devant cette découverte. Et enfin, appuyé contre des vertèbres, il retrouva son bulbe céphalo-rachidien ! Consciencieusement il le fit glisser dans une bassine réservée.
Après avoir sorti deux dernières pièces, Jukin entreprit de tout replacer. Très concentré, il s’aida d’ouvrages anatomiques pour sécuriser la manœuvre.
Quand l’abdomen fut rempli, il s’attaqua aux morceaux de lobes cérébraux. Par une ouverture sur le dessus du crâne, après avoir enlevé quelques lobes, il déplaça un gros bloc qui n’était pas à sa place. Aussitôt il sentit une compression s’annuler dans son esprit. Il s’agissait d’une zone de la mémoire.
Quelques instants plus tard, tout était en place, il ne restait que le bulbe céphalo-rachidien. Il savait qu’il allait s’évanouir car il ne pourrait éviter de le toucher au moment où il le reconnecterai. Mais il le fallait. Alors il prit une grande inspiration, empoigna le bulbe et le repositionna. Quand il entendit le craquement spécifique d’un organe remit à sa place, ses oreilles bourdonnaient déjà et son champ de vision se rétrécissait jusqu'au noir absolu. Pendant qu’il perdait connaissance, des éléments de sa mémoire, libérés de la compression, s’écoulaient à nouveau dans sa conscience.

Jukin se réveilla d’un bond et se prit la tête à deux mains. Il réalisait aussitôt la catastrophe. Son bulbe était de nouveau vulnérable. Il se souvenait maintenant. Il avait miraculeusement réussit à modifier la position de ses organes et de certains lobes cérébraux pour protéger son bulbe après des milliers de tentatives infructueuses. Cette fois tout avait trouvé une place, excepté l’atome clé qui n’était pas indispensable. Par la même occasion, les changements avaient amélioré le rendement de son corps et de son esprit. Plus vif, plus efficace, il ne se fatiguerait plus, pourrait enregistrer des masses de savoir sans effort et développer ses aptitudes physiques.
Seulement voilà, il avait tout annulé. Ironiquement, en retrouvant le souvenir de ce qui s’était passé, il avait aussi effacé à jamais les étapes précises des inversions faisant de lui un surhomme.
Sachant qu’il oublierait avoir effectué ces modifications par la légère compression nécessaire sur un lobe de la mémoire, seul compromis avec les deux rallonges à la réalisation de ce merveilleux projet, il avait mis au point ce stratagème devant l’empêcher de replacer l’atome clé et donc défaire toutes ces améliorations.
Pourquoi ne pas s’en être simplement débarrassé ? A l’heure du sacrifice il n’avait pas trouvé la force de s’en séparer pour toujours. Bien qu’en théorie il devait oublier aussitôt son existence, se séparer d’une partie de lui, aussi infime soit elle, lui avait été impossible. Aussi bénéfique que puisse être cette séparation.
Maintenant il devrait trouver les ressources afin d’accepter son sort banal et imparfait, d’accepter sa vulnérabilité bulbo céphalo-rachidienne. Et d’accepter qu’il avait eu le génie de se créer surhomme mais qu’il lui manquait celui de se faire une petite note mémoire pour le rester.
Un dernier souvenir lui revint subitement. Juste avant de sombrer dans le premier coma, il avait noté la date et l’heure du miracle sous le tiroir à atome. C’était deux heures plus tôt.

28

Ce matin, Jukin s’émerveille.
titre proposé par Marion


Dans ce coin, ce sera parfait. Le séjour manquait d’un fauteuil spectaculaire, alors Jukin avait rendez-vous à l’abattoir. Johnny, le directeur, dont il avait fait la connaissance à un salon de viande, lui avait promis les plus beaux os. Car il désirait se faire un magnifique fauteuil en os. A son arrivée, il fut présenté à Dévine, un nouvel employé à qui le directeur faisait une visite détaillée. Jukin joint la visite.

Dévine était très drôle, malgré lui. Il avait quelque chose de mignon, trop mignon, ce qui inspirait la pitié. Et mêlé à cela des dents horribles et une démarche atrophiée. Jukin pouffait de rire intérieurement, ce qui le distrayait d’ailleurs pendant cette visite si ennuyeuse. Ses os. C’est tout ce qu’il désirait. Patience.

Johnny, ce grand type costaud comme un taureau, les amena à la salle des carcasses. Jukin demanda s’il était vraiment nécessaire d’aller jusque là. Mais le directeur devait tout montrer à son employé, alors il leur emboîta le pas. La porte épaisse découpée dans un métal mat vert bouteille était percée d’un tout petit hublot. Pourquoi étaient-ils toujours aussi mesquins sur les hublots ? On devinait à peine les quartiers suspendus. Jukin entra derrière Johnny qui lui cachait la vue.
Quand le dos s’écarta, un spectacle singulier se découvrit à son regard. La pièce bas de plafond, baignée d’une lumière jaune, offrait des rangées infinies d’animaux pendus. Sur le fond sombre des murs lisses, le rouge des bêtes saisissait. La température fraîche engendrait une légère brume blanche qui ralentissait le temps. Jukin se suspendit, fasciné. Il se sentait chez lui. La régularité du rangement et les étiquettes numérotées lui plaisaient déjà. Mais c’étaient les carcasses qui le touchaient profondément. De la viande morte. Froide. Qui se décomposait à peine. Le velouté des muscles. Cette teinte rouge vin, sombre, semblait pouvoir devenir translucide. Barré d’éclats de membrane blancs laiteux. Jukin se figurait ces sculptures de chair être le résultat heureux de l’assemblage de plusieurs puzzles, dont il manquait la moitié des pièces. Bien entendu, tout ne correspondait pas, alors il fallait forcer. Les ¾ des pièces avaient été écrasés les unes sur les autres par des monstres de la mythologie.

Johnny entreprit d’expliquer à Dévine le fonctionnement de la soufflerie. Jukin prit alors le temps de déambuler dans une rangée pour savourer le spectacle. Il fit quelques pas, et derrière un gros quartier presque carré, une apparition. Une petite carcasse, légèrement bleuie, l’émut particulièrement. Elle lui sembla vivante à l’intérieur. Sur le flanc un trou béant respirait. Pas de tête à cette viande, pourtant elle semblait lui faire un clin d’œil. Jukin était séduit. Après avoir jeté un coup d’œil aux deux hommes toujours occupés à des détails techniques, il s’approcha, fébrile, comme pour un premier rendez-vous.
Sa main effleura la chair. Le désir s’éveilla immédiatement. Il avait peu de temps alors il se laissa guider par sa pulsion. Ses gestes étaient parfaits, la carcasse s’offrait à lui. Avant de la pénétrer, il crut voir la fente s’élargir. Son pénis se fraya un chemin impertinent. L’intérieur, dense, agrippait sa peau au passage, créant un frottement irrésistible à la limite de la douleur. Il retint un râle de peur d’être entendu. Sa jouissance montait déjà, il saisit violemment la carcasse et accéléra. Johnny venait de terminer ses explications, mais Jukin ne pouvait pas s’arrêter. Alors il mordit la viande. Une grosse décharge éjaculatoire remplit le trou. Johnny débarqua dans l’allée. Par réflexe Jukin retira son sexe qui expulsa dans un second spasme sa semence sur le sol. Le directeur se figea, Dévine le cogna dans le dos. Jukin éjacula encore une fois. Visiblement compréhensif, Johnny recula en cachant délibérément la vue à son employé. Jukin put remballer son membre déjà flapi et les suivre.

Avant de sortir, Dévine demanda pourquoi ils n’allaient pas dans l’autre pièce. Le directeur l’assura qu’il s’agissait simplement de la deuxième salle à carcasse, qui était totalement identique. Jukin reconnut effectivement des rayonnages de bêtes par l’autre petit hublot.

Le tour était terminé, Johnny conduit Jukin dans le débarras à os. Il lui fournit un grand sac pour faire sa sélection avant d’emmener Dévine dans son bureau, afin de régler la partie administrative. Son envie de fauteuil lui semblait si lointaine maintenant que cette apparition avait envahi son esprit. Il ne désirait que la revoir. Alors il fourra le sac d’os au hasard pour se créer un alibi et reprit le chemin de la salle aux carcasses.

Les couloirs aussi bien que la salle étaient vides. Son cœur battait à ses tempes. Elle était là. Peut être encore plus bleue que tout à l’heure, son excitation commençait à le démanger. Cependant il voulait découvrir les carcasses de la 2ème salle avant de se laisser aller à la volupté. On ne voyait rien par ce foutu hublot. Il ouvrit lentement la porte épaisse et se glissa à l’intérieur. Exceptée son apparition, les quartiers de viande y étaient encore plus formidables lui semblait-il. Sauf par rapport à son apparition. Ils avaient une fraîcheur particulière comme s’ils étaient encore vivants ou qu’ils avaient une vitalité nouvelle.
Jukin fit quelques pas sur sa gauche et découvrit 3 hommes dans une rangée. Ils portaient la blouse de l’abattoir avec le logo dans le dos. Par contre leur pantalon était en bas de leurs pieds. Et ils pénétraient des carcasses avec leur sexe. Il lâcha instinctivement un « hé ! » désapprobateur qu’il regretta. Les 3 hommes se retournèrent simultanément et éjaculèrent au sol. Jukin ne comprenait pas ce qui se passait tout à coup. Il sortit d’un bond en refermant la porte. Mais il ne pouvait pas la verrouiller. Il plongea jusqu’à la grille d’aération qui se déclipsait, s’enfouit dans le conduit et replaça la grille dans le même mouvement. Les 3 hommes débarquèrent aussitôt mais ne vérifièrent pas l’aération. Les deux plus petits quittèrent la salle mais le dernier resta et termina de remettre sa ceinture. Jukin n’avait plus le choix, il devait emprunter la gaine. Heureusement les conduits étaient larges et l’installation semblait neuve, donc propre. Il longea plusieurs tubes et prit quelques virages avant que des rectangles de lumière ne lui barrent la route. Des fentes perçaient la paroi et donnaient sur une pièce. Jukin s’avança et reconnut le bureau de Johnny :

_Ne vous inquiétez pas, vous n’aurez pas à vous occuper des éjaculations vous-même. Une équipe spécifique en est chargée.

C’était bien la voix du directeur. Jukin apercevait une partie du visage de son interlocuteur : Dévine qui écoutait attentivement. Un grain dans son regard le rendait moins mignon, mais il demeurait très drôle. Jukin s’empêcha de pouffer, cette conversation l’intéressait.

_Je suis prêt à participer vous savez, répondit Dévine, très confiant. J’estime qu’il est nécessaire de s’impliquer dans toutes les tâches d’une production si l’on veut en être un maillon efficace.

_C’est ce que j’apprécie chez vous. Vous n’êtes pas comme tous ces jeunes diplômés, choqués d’un rien et qui veulent tout obtenir, sans effort, sans le moindre investissement personnel, le félicita Johnny. Vous savez, il n’était pas simple de faire accepter ce traitement particulier des carcasses. J’ai dû essuyer beaucoup d’incompréhension, d’insultes. Ma fierté fut ébranlée, mais j’ai persévéré. Quand j’ai enfin réussi à convaincre toute une équipe de travail, nos carcasses ont fait fureur. Ce procédé leur redonne un éclat et une saveur unique. Nos chiffres d’affaire se sont envolés.

Jukin lâcha un pet très sonore. Il ne l’avait absolument pas senti venir. La gaine d’aération amplifia aussi bien l’onde sonore qu’elle propagea l’odeur. Il s’évanouit immédiatement.

Le visage de Johnny l’accueillit à son réveil. La tête lui tournait encore et sa vue était légèrement troublée, mais il était sûr que le directeur lui souriait.

_Ah, il revient a lui messieurs.

Les 3 employés qu’il avait surpris étaient aussi debout autour de lui, souriants. Dévine, assis plus loin avait une expression impassible. Jukin se redressa doucement, sa vision se précisait déjà.

_Mon vieux, vous nous avez lâché une de ces bombes, lança subitement Johnny, plein d’entrain. Notre système d’aération a dû être lancé à plein régime. Ca a pris 10 bonnes minutes pour tout évacuer sans abîmer les quartiers de viande. Par contre je voudrais vous féliciter pour votre petite action dans la salle des carcasses.

Le plus grand des 3 hommes s’avança timidement à ce moment.

_Monsieur le directeur nous a expliqué ce que vous avez fait. Alors moi et mes collègues on voulait vous féliciter et si c’était possible vous serrer la main.

_Euh, oui, bien sûr, répondit-il gêné.

Chacun leur tour ils lui serrèrent la main avec admiration, un grand sourire aux lèvres, puis quittèrent la pièce.

_Ce que vous avez fait n’est pas donné à tout le monde, dit Johnny en s’installant à son bureau. Alors j’ai décidé de vous offrir une place ici. Ils vont vous ramener votre carcasse, qui doit être resplendissante maintenant. Qu’en pensez vous ?

Jukin n’en croyait pas ses oreilles. A peine réveillé, il avait pensé avoir des menottes aux poignets et devoir expliquer son action. Une vague d’enthousiasme le submergea intérieurement. On le félicitait et on lui proposait de le payer pour….non, ce n’était pas possible. C’était un rêve.

_Bien entendu, vous n’êtes pas prié de valoriser des carcasses à longueur de journée. Oui, nous employons le terme « valoriser », c’est beaucoup plus pratique et élégant.

Les 3 hommes entrèrent, l’air déconfit. Les deux plus petits amenaient une immense feuille morte brûlée, tandis que le 3ème fermait la porte dans un geste de recueillement.

_Oh mon dieu ! laissa échapper Johnny en se levant.

Il se tourna vers Jukin, d’un air navré.

_Je suis vraiment désolé mon vieux. Vous ne pourrez pas travailler pour nous.

_Mais….., qu’est ce qui se passe ? Qu’est ce que c’est que ce truc ? souffla-t-il en désignant la feuille géante.

_C’est la carcasse que vous avez valorisée mon vieux. Malheureusement, votre semence est incompatible avec la viande morte. Vous l’avez faite pourrir.

Son sperme avait tué son amour. Jukin était abasourdi. Si vite, il passait de la joie totale à la déroute complète.

_Enlevez-la ! cria-t-il malgré lui.

Les 3 hommes baissèrent la tête et emmenèrent le bout de viande noire rabougri. Johnny lança alors un regard à la dérobée vers Dévine. Ce dernier comprit. Il se leva et s’approcha lentement de Jukin. Il lui posa une main paternelle qui se voulait réconfortante sur l’épaule.

_Ce n’est pas de votre faute vous savez. Vous pourrez revenir quand vous voulez. Et puis si une carcasse n’a pas le profil pour que nous puissions la commercialiser, on devrait pouvoir vous laisser la valoriser tout de même.

Jukin était touché par l’intention. Il sentait des ondes positives autour de lui. Ces types étaient sincèrement désolés. Alors il se leva et fit face à Dévine pour le remercier. Ce dernier était encore plus mignon qu’habituellement. Sûrement car il débordait de sollicitude. Cette fois, Jukin ne put se retenir. Il éclata de rire. Un énorme rire sucré. Des convulsions joyeuses l’accompagnaient. Ils se tordait littéralement de rire.
Mais Johnny changea subitement d’attitude. Ses sourcils osseux se froncèrent.

_Stooop !

Jukin se figea.

_Dévine, mais vous êtes un incapable. Regardez l’effet que vous faites. J’ai besoin de quelqu’un de sérieux, de rassurant. Vous êtes viré aussi ! Tous les deux vous êtes virés, sortez !

Dévine n’empêcha pas sa mâchoire inférieure de tomber. Le visage rouge du directeur le dissuada de tenter de discuter. Il sortit du bureau avec un Jukin qui se retenait encore de pouffer. Johnny claqua la porte derrière eux. Quand il voulut le sermonner sur ce qu’il venait de lui faire, Jukin explosa tellement fort de rire qu’il tourna les talons et partit en boitillant.

Jukin rentra tranquillement chez lui, afin d’assimiler tout ce qui s’était passé. Il avait un sentiment flou car beaucoup de choses s’y mélangeaient, s’y superposaient. Heureusement, il avait put emporter le sac d’os avant de quitter les lieux.
Il se confectionna un magnifique fauteuil, bien que les os n’étaient pas les meilleurs. Certains avaient des formes improbables, voire inutilisables. Il avait alors décidé d’écouter les os plutôt que de les restreindre à une forme, et réalisa ainsi un fauteuil étrange, particulier, unique. Jukin était persuadé que cet os qu’il avait dressé perpendiculairement au centre de l’assise, appartenait à son apparition. Et quand il s’asseyait, nu, bien profond dessus, il en était certain.